Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/207

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qu’il ne connaît pas et dont le physique seul a donc pu l’intéresser, jusqu’à ces gestes involontaires par lesquels il lui prend le bras, ne trahit-il pas le sens très différent et très précis des théories de domination, d’alliance à deux dans la vie, etc., dont le faux chanoine colore aux yeux de Lucien, et peut-être aux siens mêmes, une pensée inavouée. La parenthèse à propos de l’homme qui a la passion de manger du papier n’est-elle pas aussi un trait de caractère admirable de Vautrin et de tous ses pareils, une de leurs théories favorites, le peu qu’ils laissent échapper de leur secret  ? Mais le plus beau sans conteste est le merveilleux passage où les deux voyageurs passent devant les ruines du château de Rastignac. J’appelle cela la Tristesse d’Olympio de l’Homosexualité  : «  Il voulut tout revoir, l’étang près de la source  ». On sait que Vautrin, à la pension Vauquer, dans Le Père Goriot, a formé sur Rastignac, et inutilement, le même dessein de domination qu’il a maintenant sur Lucien de Rubempré. Il a échoué, mais Rastignac n’en a pas moins été fort mêlé à sa vie  ; Vautrin a fait assassiner le fils Taillefer pour lui faire épouser Victorine. Plus tard, quand Rastignac sera hostile à Lucien de Rubempré, Vautrin, masqué, lui rappellera certaines choses de la Pension Vauquer et le contraindra à protéger Lucien, et même après la mort de Lucien, Rastignac souvent fera appeler Vautrin dans une rue obscure.