Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/208

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De tels effets ne sont guère possibles que grâce à cette admirable invention de Balzac d’avoir gardé les mêmes personnages dans tous ses romans. Ainsi un rayon détaché du fond de l’œuvre, passant sur toute une vie, peut venir toucher, de sa lueur mélancolique et trouble, cette gentilhommière de Dordogne et cet arrêt des deux voyageurs. Sainte-Beuve n’a absolument rien compris à ce fait de laisser les noms aux personnages  : «  Cette prétention l’a finalement conduit à une idée des plus fausses et des plus contraires à l’intérêt, je veux dire à faire reparaître sans cesse d’un roman à l’autre les mêmes personnages, comme des comparses déjà connus. Rien ne nuit plus à la curiosité qui naît du nouveau et à ce charme de l’imprévu qui fait l’attrait du roman. On se trouve à tout bout de champ en face des mêmes visages.  » C’est l’idée de génie de Balzac que Sainte-Beuve méconnaît là. Sans doute, pourra-t-on dire, il ne l’a pas eue tout de suite. Telle partie de ses grands cycles ne s’y est trouvée rattachée qu’après coup. Qu’importe. L’Enchantement du Vendredi saint est un morceau que Wagner écrivit avant de penser à faire Parsifal et qu’il y introduisit ensuite. Mais les ajoutages, ces beautés rapportées, les rapports nouveaux aperçus brusquement par le génie entre les parties séparées de son