Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/209

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œuvre qui se rejoignent, vivent et ne pourraient plus se séparer, ne sont-ce pas de ses plus belles intuitions  ? La sœur de Balzac nous a raconté la joie qu’il éprouva le jour où il eut cette idée, et je la trouve aussi grande ainsi que s’il l’avait eue avant de commencer son œuvre. C’est un rayon qui a paru, qui est venu se poser à la fois sur diverses parties ternes jusque-là de sa création, les a unies, fait vivre, illuminées, mais ce rayon n’en est pas moins parti de sa pensée.

Les autres critiques de Sainte-Beuve ne sont pas moins absurdes. Après avoir reproché à Balzac ces «  délices de style  » dont malheureusement il est dépourvu, il lui reproche des fautes de goût, ce qui chez lui est trop réel, mais, comme exemple, il cite une phrase qui dépend d’un de ces morceaux admirablement écrits comme il y en a tout de même beaucoup chez Balzac, où la pensée a refondu, unifié le style, où la phrase est faite  : ces vieilles filles «  logées toutes dans la ville de manière à y figurer les vaisseaux capillaires d’une plante aspirant avec la soif d’une feuille pour la rosée, les nouvelles, les secrets de chaque ménage, les pompaient et les transmettaient machinalement à l’abbé Troubert, comme les feuilles communiquent à la tige la fraîcheur qu’elles ont absorbée  ». Et quelques pages plus loin, la phrase incriminée par Sainte-Beuve  : «  telle était la substance des phrases jetées en avant par les tuyaux capillaires du grand conciliabule femelle et complai-