Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/213

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la chose à un homme qui a un vilain passé, ou une mauvaise réputation politique par exemple, et qui, dans un pays où il n’est pas connu, forme de douces amitiés, se voit entouré de relations agréables, et pense que bientôt, quand ces gens vont demander qui il est, on va peut-être se détourner de lui, et cherche aux moyens de détourner l’orage. Dans les routes de cette villégiature qu’il va quitter et où bientôt peut-être de fâcheux renseignements sur lui vont parvenir, il promène solitaire une mélancolie inquiète mais qui n’est pas sans charmes, car il a lu Les Secrets de la Princesse de Cadignan, il sait qu’il participe à une situation en quelque sorte littéraire et qui prend par là quelque beauté. À son inquiétude, tandis que la voiture le long des routes d’automne l’amène vers les amis encore confiants, se mêle un charme que n’aurait pas la tristesse de l’amour, si la poésie n’existait pas. À plus forte raison si ces crimes qu’on lui reproche sont imaginaires est-il impatient de l’heure où ses fidèles d’Arthez recevront le baptême de la boue, de Rastignac et de Marsay. La vérité en quelque sorte contingente et individuelle des situations, qui fait qu’on peut mettre des noms propres sur tant de situations comme, par exemple, celle de Rastignac épousant la fille de sa maîtresse Delphine de Nucingen, ou de Lucien de Rubempré arrêté à la veille d’épouser Mlle de Grandlieu, ou de Vautrin héritant de Lucien de Rubempré dont il cherchait à faire la fortune, comme la fortune des