Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/219

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manquait de tact en disant cela, M. de Guermantes «  menant de front  », en effet, beaucoup d’aventures qui étaient peut-être plus fatigantes et qui auraient dû plus attirer l’attention de sa femme que la lecture de Balzac et le maniement du stéréoscope. À vrai dire j’étais dans les privilégiés, puisqu’il suffisait que je fusse là pour consentir à montrer le stéréoscope. Le stéréoscope contenait des photographies d’Australie que je ne sais qui avait rapportées à M. de Guermantes, mais il les eût prises lui-même devant des sites qu’il eût le premier explorés, défrichés et colonisés, que le fait de «  montrer le stéréoscope  » n’aurait pas paru une communication plus précieuse, plus directe, et plus difficile à obtenir de la science de M. de Guermantes. Certainement, si chez Victor Hugo un convive souhaitait après le dîner qu’il donnât lecture d’un drame inédit, il n’éprouvait pas autant de timidité devant l’énormité de sa proposition que l’audacieux qui demandait chez les Guermantes si, après dîner, le comte ne montrerait pas le stéréoscope. Mme de Guermantes levait les bras en l’air d’un air de dire  : «  Vous en demanderez tant  !   » Et certains jours spéciaux, quand on voulait honorer particulièrement un invité ou reconnaître de ces services qu’on n’oublie pas, la comtesse chuchotait d’un air intimidé, confidentiel, et émerveillé, comme n’osant pas encourager sans être absolument sûre de trop grandes espérances, mais on sentait bien que même pour le dire