Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/221

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cieuse que Chopin étire jusqu’au bout dans son célèbre morceau La Pluie. Chopin, ce grand artiste maladif, sensible, égoïste et dandy qui déploie pendant un instant doucement dans sa musique les aspects successifs et contrastés d’une disposition intime qui change sans cesse et n’est pendant plus d’un moment doucement progressive sans que vienne l’arrêter, se heurtant à elle et s’y juxtaposant, une toute différente, mais toujours avec un accent intime maladif, et replié sur soi-même dans ses frénésies d’action, avec toujours de la sensibilité et jamais de cœur, souvent de furieux élans, jamais la détente, la douceur, la fusion à quelque chose d’autre que soi qu’a Schumann. Musique douce comme le regard d’une femme qui voit que le ciel est gâté pour toute la journée, et dont le seul mouvement est comme le geste de la main qui dans la pièce humide serre à peine sur ses épaules une fourrure précieuse, sans avoir le courage, dans cette anesthésie de toute chose à laquelle elle participe, de se lever, d’aller dire dans la chambre à côté la parole de réconciliation, d’action, de chaleur et de vie, et qui laisse sa volonté s’affaiblir et son corps se glacer de seconde en seconde, comme si chaque larme qu’elle ravale, chaque seconde qui passe, chaque goutte de pluie qui tombe était une des gouttes de son sang qui s’échappait, la laissant plus faible, plus glacée, plus sensible à la douceur maladive de la journée.

D’ailleurs la pluie qui tombe sur des arbres où