Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les corolles et les feuilles restées dehors semblent comme la certitude et la promesse indestructible et fleurie du soleil et de la chaleur qui va bientôt revenir, cette pluie n’est guère que le bruit d’un arrosage un peu long auquel on assiste sans tristesse. Mais soit qu’il entrât ainsi par la fenêtre ouverte, soit que, dans les brûlants après-midi ensoleillés, on entendît dans le lointain une musique militaire ou foraine comme une bordure éclatante à la chaleur poussiéreuse, M. de Guermantes aimait certainement le séjour dans la bibliothèque, depuis le moment où, en arrivant et fermant les volets, il chassait le soleil étendu sur son canapé et sur la vieille carte royale de l’Anjou pendue au-dessus, ayant l’air de lui dire  : «  Ôte-toi de là que je m’y mette  », jusqu’au moment où il demandait ses affaires et faisait dire au cocher d’atteler.

Si c’était l’heure où mon père sortait pour ses affaires, comme il le connaissait un peu et avait souvent des services de voisin à lui demander, il courait à lui, lui arrangeait le col de son pardessus et ne se contentait pas de lui serrer la main, mais la lui retenait dans la sienne et le menait ainsi en laisse de la porte de l’escalier à la loge du concierge. Car certains grands seigneurs, dans leur désir de flatter en montrant qu’ils ne voient aucune distance entre eux et vous, ont des complaisances de valet et jusqu’à une impudeur de courtisane. Le comte avait l’inconvénient d’avoir toujours les