Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/225

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pour le besoin de ses amours ramenait de temps en temps un jeune homme «  que personne ne connaissait  », ils savaient le charmer en l’entretenant des sujets qui lui fussent familiers ( « Vous êtes architecte, Monsieur  ? » ) avec beaucoup de savoir, de goût et même une amabilité dont un adieu extrêmement froid marquait la terminaison  ; cependant une fois que le nouveau venu était parti, ils en parlaient avec la plus grande bienveillance, comme pour justifier la fantaisie qu’on avait eue de le faire entrer, faisant l’éloge de son intelligence, de ses manières et prononçant plusieurs fois son nom comme pour s’exercer, comme un mot nouveau, étranger et précieux qu’on viendrait d’acquérir. On parlait des mariages projetés dans la famille, le jeune homme étant toujours un excellent sujet, on était content pour Isabelle, on discutait si c’était sa fille qui faisait le beau mariage au point de vue du nom. Tous ces gens qui étaient nobles et riches faisaient valoir la noblesse et la fortune de gens qui n’en avaient certainement pas plus qu’eux, comme s’ils eussent été bien heureux d’être de même. Le comte disait  : «  C’est qu’il a une immense fortune  », ou «  C’est tout ce qu’il y a de plus ancien comme nom, apparenté à tout ce qu’il y a de mieux, c’est ce qu’il y a de plus grand  », alors qu’il était certainement aussi bien né et avait d’aussi belles alliances.

Si la comtesse faisait quelque chose qu’on désapprouvait, on ne la blâmait pas, on ne disait