Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/227

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qu’il ne lui demanda pas son reste  », «  il court encore  ». Si la simple suppression d’un article, le passage d’un singulier au pluriel rendait un mot plus vulgaire, on peut être sûr que c’était cette forme de langage que le mot prenait chez lui. Il aurait été naturel de dire qu’un cocher sortait de chez les Rothschild. Il disait  : «  Il sort de chez Rothschild  », n’entendant pas par là tel Rothschild qu’il avait connu, mais disant par la voix de l’homme du commun, né noble et élevé chez les Jésuites, mais tout de même du commun qu’il était, «  Rothschild  ». Dans les phrases où la moustache passe mieux au pluriel, c’était porter «  la moustache  ». Si on lui disait de prendre le bras d’une maîtresse de maison et qu’il y eût le duc de X… il disait  : «  Je ne veux pas passer avant le duc de X…  » Quand il écrivait, cela s’aggravait, les mots ne lui représentant jamais leur sens exact, il les accouplait toujours avec un mot d’une autre série. «  Voulez-vous venir me trouver à l’Agricole, puisque depuis l’année dernière je fais partie de cet endroit  » ; «  je regrette de n’avoir pu faire connaissance de Monsieur Bourget, j’aurais été heureux de serrer la main de cet esprit si distingué  », «  votre lettre est charmante, surtout la péroraison  », «  je regrette de n’avoir pu applaudir la curieuse audition (il est vrai qu’il ajoutait, comme des gants gris perle sur une main sale  : de ces exquises musiques)  ». Car il trouvait raffiné de dire «  des musiques  » et au lieu de «  mes sentiments