Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/259

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ver avec lui, l’Antinoüs dont il rêvait tout le jour, et la nuit à la fenêtre de la petite villa, où le passant attardé l’apercevait au clair de lune, regardant la nuit, et rentrant vite quand on l’avait aperçu. Trop pur encore pour croire qu’un désir pareil au sien pût exister ailleurs que dans les livres, ne pensant pas que les scènes de débauche que nous lui assimilons aient un rapport quelconque avec lui, les mettant au même niveau que le vol et l’assassinat, retournant toujours à son rocher regarder le ciel et la mer, ignorant le port où les matelots sont contents pourvu que, de quelque manière que ce soit, ils gagnent un salaire. Mais son désir inavoué se manifestait dans l’éloignement de ses camarades, ou dans l’étrangeté de ses paroles et de ses façons quand il était avec eux. Ils essayaient son rouge, plaisantaient sa poudre bleue, sa tristesse. Et en pantalons bleus et en casquette marine, il se promenait mélancolique et seul, consumé de langueur et de remords.

Tout jeune, quand ses camarades lui parlaient des plaisirs qu’on a avec des femmes, il se serrait contre eux, croyant seulement communier avec eux dans le désir des mêmes voluptés. Plus tard, il sentit que ce n’étaient pas les mêmes, il le sen-