Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/260

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tait mais ne l’avouait pas, ne se l’avouait pas. Les soirs sans lune, il sortait de son château du Poitou, suivait le chemin qui conduit à la route par où on va au château de son cousin Guy de Gressac. Il le rencontrait à la croix des deux chemins, sur un talus ils répétaient les jeux de leur enfance, et se quittaient sans avoir prononcé une parole, sans s’en reparler jamais pendant les journées où ils se voyaient et causaient, en gardant plutôt l’un contre l’autre une sorte d’hostilité, mais se retrouvant dans l’ombre, de temps à autre, muets, comme des fantômes de leur enfance qui se seraient visités. Mais son cousin devenu prince de Guermantes avait des maîtresses et n’était repris que rarement du bizarre souvenir. Et M. de Quercy revenait souvent après des heures d’attente sur le talus, le cœur gros. Puis son cousin se maria et il ne le vit plus que comme homme causant et riant, un peu froid avec lui cependant, et ne connut plus jamais l’étreinte du fantôme.

Cependant Hubert de Quercy vivait dans son château plus solitaire qu’une châtelaine du Moyen Âge. Quand il allait prendre le train à la station, il regrettait, bien qu’il ne lui eût jamais parlé, que la bizarrerie des lois ne permît pas d’épouser le chef de gare  : peut-être, bien qu’il fût très entiché de noblesse, eût-il passé sur la mésalliance  ; et il aurait voulu pouvoir changer de résidence quand le lieutenant-colonel qu’il apercevait à la manœuvre partait pour une autre garnison. Ses plai-