Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/261

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sirs étaient de descendre parfois de la tour du château où il s’ennuyait comme Grisélidis, et d’aller après mille hésitations à la cuisine dire au boucher que le dernier gigot n’était pas assez tendre, ou d’aller prendre lui-même ses lettres au facteur. Et il remontait dans sa tour et apprenait la généalogie de ses aïeux. Un soir, il alla jusqu’à remettre un ivrogne dans son chemin, une autre fois, il arrangea sur un chemin la blouse défaite d’un aveugle.

Il vint à Paris. Il était dans sa vingt-cinquième année, d’une grande beauté, spirituel pour un homme du monde, et la singularité de son goût n’avait pas encore mis autour de sa personne ce halo trouble qui le distinguait plus tard. Mais Andromède attachée à un sexe pour lequel il n’était point fait, ses yeux étaient pleins d’une nostalgie qui rendait les femmes amoureuses, et tandis qu’il était un objet de dégoût pour les êtres dont il s’éprenait, il ne pouvait partager pleinement les passions qu’il inspirait. Il avait des maîtresses. Une femme se tua pour lui. Il s’était lié avec quelques jeunes gens de l’aristocratie dont les goûts étaient les mêmes que les siens.

Qui pourrait soupçonner ces élégants jeunes gens, aimés des femmes, de parler à cette table de plaisirs que le reste du monde ne comprend pas  ? Ils détestent, ils invectivent ceux de leur race et ne les fréquentent point. Ils ont le snobisme et l’exclusive fréquentation de ceux qui n’aiment que les femmes. Mais avec deux ou trois autres aussi