Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/271

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minent entre leurs joues grenat et leurs pommettes améthyste, avaient l’air de quelque cygne majestueusement empanaché de plumes pourprées, qui s’acharne méchamment après des touffes d’iris ou d’héliotrope.

Les Guermantes avaient les manières du grand monde, mais cependant ces manières réfractaient plutôt l’indépendance de nobles qui avaient toujours aimé tenir tête aux rois, que la gloriole d’autres nobles tout aussi nobles qu’eux qui aimaient à se sentir distingués par eux et les servir. Ainsi là où les autres disaient volontiers, même en causant entre eux  : «  J’ai été chez Mme la duchesse de Chartres  », les Guermantes disaient même aux domestiques  : «  Appelez la voiture de la duchesse de Chartres.  » Enfin leur mentalité était constituée par deux traits. Au point de vue moral par l’importance capitale reconnue aux bons instincts. De Mme de Villeparisis au dernier petit Guermantes, ils avaient la même intonation de voix pour dire d’un cocher qui les avait conduits une fois  : «  On sent que c’est un homme qui a de bons instincts, une nature droite, un bon fond.  » Et parmi les Guermantes autant que dans toutes les familles humaines, il y avait beau y en avoir de détestables, menteurs, voleurs, cruels, débauchés, faussaires, assassins – ceux-là, plus charmants d’ailleurs que les autres, sensiblement plus intelligents, plus aimables, ne gardaient avec l’aspect physique et l’œil bleu scruteur et le saphir iné-