Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/272

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moussable qu’un trait commun avec les autres, c’est, dans les moments où ils montraient le tuf, où sortait le fond permanent, la nature qui se montre, de dire  : «  On sent qu’il a de bons instincts c’est une nature droite, un brave cœur, c’est tout cela  !   »

Les deux autres traits constitutifs de la mentalité des Guermantes étaient moins universels. Tous intellectuels, ils n’apparaissaient que chez les Guermantes intelligents, c’est-à-dire croyant l’être, et ayant alors l’idée qu’ils l’étaient extraordinairement, car ils étaient extrêmement contents d’eux. L’un de ces traits était la croyance que l’intelligence et aussi la bonté, la piété consistaient en choses extérieures, en connaissances. Un livre qui parlait de choses qu’on connaît leur paraissait insignifiant. «  Cet auteur ne nous parle que de la vie à la campagne, des châteaux. Mais tous les gens qui ont vécu à la campagne savent cela. Nous avons la faiblesse d’aimer les livres qui nous apprennent quelque chose. La vie est courte, nous n’allons pas perdre une heure précieuse à lire L’Orme du Mail, où Anatole France nous raconte sur la province des choses que nous savons aussi bien que lui.  »

Mais cette originalité des Guermantes, que la vie me donna en compensation comme une action de jouissance, n’était pas l’originalité que je perdis dès que je les connus et qui les faisait poétiques et dorés comme leur nom, légendaires, impalpables