Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/273

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comme les projections de la lanterne magique, inaccessibles comme leur château, vivement colorés dans une maison transparente et claire, dans un cabinet de verre, comme des statuettes de Saxe. Tant de noms nobles du reste ont ce charme d’être des noms des châteaux, des stations de chemin de fer où on a souvent rêvé, en lisant un indicateur de chemin de fer, de descendre une fin d’après-midi de l’été, quand dans le Nord les charmilles vite solitaires et profondes, entre lesquelles est intercalée et perdue la gare, sont déjà roussies par l’humidité et la fraîcheur, comme ailleurs à l’entrée de l’hiver.

C’est encore aujourd’hui un des grands charmes des familles nobles qu’elles semblent situées dans un coin de terre particulier, que leur nom qui est toujours un nom de lieu, ou que le nom de leur château (et c’est encore quelquefois le même) donne tout de suite à l’imagination l’impression de la résidence et le désir du voyage. Chaque nom noble contient dans l’espace coloré de ses syllabes un château où après un chemin difficile l’arrivée est douce par une gaie soirée d’hiver, et tout autour la poésie de son étang, et de son église, qui à son tour répète bien des fois le nom, avec ses armes, sur ses pierres tombales, au pied des statues peintes des ancêtres, dans le rose des vitraux