Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/274

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héraldiques. Vous me direz que cette famille qui réside depuis deux siècles dans son château près de Bayeux, qui donne l’impression d’être battu pendant les après-midi d’hiver par les derniers flocons d’écume, prisonnier dans le brouillard, intérieurement vêtu de tapisserie et de dentelle, son nom est en réalité provençal. Cela ne l’empêche pas de m’évoquer la Normandie, comme beaucoup d’arbres, venus des Indes et du Cap, se sont si bien acclimatés à nos provinces que rien ne nous donne une impression moins exotique et plus française que leur feuillage et leurs fleurs. Si le nom de cette famille italienne se dresse orgueilleusement depuis trois siècles au-dessus d’une profonde vallée normande, si de là quand le terrain s’abaisse, on aperçoit la façade de schiste rouge et de pierre grisâtre du château, sur le même plan que les cloches de pourpre de Saint-Pierre-sur-Dives, il est Normand comme les pommiers qui… et qui ne sont venus du Cap qu’au… Si cette famille provençale depuis deux siècles a son hôtel au coin de la grande place à Falaise, si les invités venus faire leur partie le soir, en les quittant après dix heures risqueraient d’éveiller les bourgeois de Falaise, et qu’on entend leur pas se répercuter indéfiniment dans la nuit, jusqu’à la place du donjon, comme dans un roman de Barbey d’Aurevilly, si le toit de leur hôtel s’aperçoit entre