Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/276

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c’est le son de la trompe de l’automobile qui a remplacé l’un et l’autre et qui s’harmonise comme le premier à l’atmosphère humide qu’il traverse sous les feuillages, puis saturé de l’odeur des roses dans le parterre d’honneur, et émouvant, presque humain comme le second, avertit par ses appels la châtelaine qui se met à la fenêtre qu’elle ne sera pas seule ce soir à dîner, puis à jouer, en face du comte. Sans doute quand on me dit le nom d’un sublime château gothique près de Ploërmel, que je pense aux longues galeries du cloître, et aux allées où on marche parmi les genêts et les roses sur les tombes des abbés, qui vivaient là sous ces galeries, avec la vue de ce vallon dès le VIIIe siècle, quand Charlemagne n’existait pas encore, quand ne s’élevaient pas les tours de la cathédrale de Chartres ni d’abbaye sur la colline de Vézelay, au-dessus du Cousin profond et poissonneux, sans doute si dans un de ces moments où le langage de la poésie est trop précis encore, trop chargé de mots et par conséquent d’images connues, pour ne pas troubler ce courant mystérieux que le Nom, cette chose antérieure à la connaissance, fait courir, semblable à rien que nous ne connaissions, comme parfois dans nos rêves, sans doute après avoir sonné au perron et avoir vu apparaître quelques domestiques, l’un dont l’essor mélancolique, le nez longuement recourbé, le cri rauque et rare fait penser que s’est incarné en lui un des cygnes de l’étang, quand on l’a desséché, l’autre