Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/277

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dans la figure terreuse de qui l’œil vertigineusement apeuré fait supposer une taupe adroite et forcée, nous trouverons dans le grand vestibule les mêmes portemanteaux, les mêmes manteaux que partout, et dans le même salon la même Revue de Paris et Comoedia. Et même si tout y sentait encore le XIIIe siècle, les hôtes même intelligents, surtout intelligents, y diraient des choses intelligentes de ce temps-ci. (Peut-être les faudrait-il pas intelligents et que leur conversation n’ait trait qu’à des choses de lieu, comme ces descriptions qui ne sont évocatrices que s’il y a des images précises et pas d’abstractions.)

Il en est de même pour les noblesses étrangères. Le nom de tel de ces seigneurs allemands est traversé comme d’un souffle de poésie fantastique au sein d’une odeur de renfermé, et la répétition bourgeoise des premières syllabes peut faire penser à des bonbons colorés mangés dans une petite épicerie d’une vieille place allemande, tandis que dans la sonorité versicolore de la dernière syllabe s’assombrit le vieux vitrail d’Aldgrever dans la vieille église gothique qui est en face. Et tel autre est le nom d’un ruisseau né dans la Forêt Noire au pied de l’antique Wartbourg et traverse toutes les vallées hantées de gnomes et est dominé de tous les châteaux où régnèrent les vieux seigneurs, puis où rêva Luther  ; et tout cela est dans les possessions du seigneur et habite son nom. Mais j’ai dîné hier avec lui, sa figure est d’aujourd’hui,