Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/278

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ses vêtements sont d’aujourd’hui, ses paroles et ses pensées sont d’aujourd’hui. Et par élévation et ouverture d’esprit, si on parle de noblesse ou de la Wartbourg il dit  : «  Oh  ! aujourd’hui, il n’y a plus de princes.  »

Assurément, il n’y en eut jamais. Mais dans le seul sens imaginatif où il peut y en avoir, il n’y a qu’aujourd’hui qu’un long passé a rempli les noms de rêves (Clermont-Tonnerre, Latour et P… des ducs de C. T.). Le château, dont le nom est dans Shakespeare et dans Walter Scott, de cette duchess est du XIIIe siècle en Ecosse. Dans ses terres est l’admirable abbaye que Turner a peinte tant de fois, et ce sont ses ancêtres dont les tombeaux sont rangés dans la cathédrale détruite où paissent les bœufs, parmi les arceaux ruinés, et les ronces en fleurs, et qui nous impressionne plus encore de penser que c’est une cathédrale parce que nous sommes obligés d’en imposer l’idée immanente à des choses qui en seraient d’autres sans cela et d’appeler le pavé de la nef cette prairie et l’entrée du chœur ce bosquet. Cette cathédrale fut bâtie pour ses ancêtres et lui appartient encore, et c’est sur ses terres, ce torrent divin, toute fraîcheur et mystère sous deux toits avec l’infini de la plaine et le soleil baissant dans un grand morceau de ciel bleu entouré de deux vergers, qui marquent comme un cadran solaire, à l’inclinaison de la lumière qui les touche, l’heure heureuse d’un après-midi avancé, et la ville tout entière étagée