Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/280

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

puisqu’il a pour objet une réalité qui est bien plus vivace que l’autre, qui tend perpétuellement à se reformer chez nous, qui désertant les pays que nous avons visités s’étend encore sur tous les autres, et recouvre de nouveau ceux que nous avons connus dès qu’ils sont un peu oubliés et qu’ils sont redevenus pour nous des noms, puisqu’elle nous hante même en rêve, et y donne alors aux pays, aux églises de notre enfance, aux châteaux de nos rêves l’apparence de même nature que les noms, l’apparence faite d’imagination et de désir que nous ne retrouvons plus réveillés, ou alors au moment où, l’apercevant, nous nous endormons  ; puisqu’elle nous cause infiniment plus de plaisir que l’autre qui nous ennuie et nous déçoit, et est un principe d’action et met toujours en mouvement le voyageur, cet amoureux toujours déçu et toujours reparti de plus belle  ; puisque ce sont seulement les pages qui arrivent à nous en donner l’impression qui nous donnent l’impression du génie.

Non seulement les nobles ont un nom qui nous fait rêver, mais au moins pour un grand nombre de familles, les noms des parents, des grands-parents, ainsi de suite, sont aussi de ces beaux noms, de sorte qu’aucune matière non poétique ne met d’interception dans cette greffe constante de noms colorés et pourtant transparents (parce qu’aucune matière vile n’y adhère), qui nous permettent de remonter longtemps de bourgeon à