Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/302

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pêchait de partir avec elle, j’aurais voulu me venger en lui faisant manquer le train, en l’empêchant de partir, en mettant le feu à la maison  ; mais ces pensées ne duraient qu’une seconde  ; une seule parole un peu dure effraya ma mère, mais bien vite je repris ma douceur passionnée avec elle, et si je ne l’embrassais pas autant que j’aurais voulu, c’était pour ne pas lui faire de peine. Nous arrivâmes devant l’église, puis on pressait le pas  ; cette marche progressive au-devant de ce qu’on redoute, les pas qui avancent et le cœur qui s’enfuit… Puis on tourna encore une fois. «  Nous aurons cinq minutes d’avance  », dit mon père. Enfin, j’aperçus la gare. Maman me pressa légèrement la main en me faisant signe d’être ferme. Nous allâmes sur les quais, elle monta dans son wagon et nous lui parlions d’en bas. On vint nous dire de nous éloigner, que le train allait partir. Maman en souriant me dit  : «  Régulus étonnait par sa fermeté dans les circonstances douloureuses.  » Son sourire était celui qu’elle prenait pour citer des choses qu’elle jugeait pédantes, et pour aller au-devant des moqueries, si elle se trompait. Il était aussi pour signifier que ce que je trouvais un chagrin n’en était pas un. Mais tout de même elle me sentait bien malheureux, et comme elle nous avait dit adieu à tous, elle laissa mon père s’éloigner, me rappela une seconde et me dit  : «  Nous nous comprenons, mon loup, tous les deux, n’est-ce pas  ? Mon petit aura demain un petit mot de sa