Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/304

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comprenait pas, mais qui sentait que la vue de Combray m’avait remué, se taisait. Je ne savais encore ce que je devais lui dire. Je voulais ne parler qu’à coup sûr, savoir les trains, commander la voiture, qu’on ne puisse plus matériellement m’empêcher. Et je marchais à côté d’elle, on pariait des visites du lendemain, mais je savais bien que je ne les ferais pas. Enfin nous arrivâmes, le village, le château ne me faisaient plus l’effet de vivre ma vie, mais d’une vie qui continuait déjà sans moi, comme celle des gens qui nous quittent au train et retournent reprendre sans nous les occupations du village. Je trouvai une dépêche insignifiante de Montargis, je dis qu’elle était de toi, qu’elle m’obligeait à repartir, que tu avais besoin de moi pour une affaire. Mme de Villeparisis fut désolée, fort gentille, me conduisit à la gare, eut de ces mots que la coquetterie de la maîtresse de maison et les traditions de l’hospitalité font ressembler à l’émotion et à l’amitié. Mais à Paris, vrai ou faux, elle m’a dit plus tard  : «  Je n’avais pas besoin de voir votre dépêche. Je l’ai bien dit à mon mari. Sur la route, pendant que nous rentrions, vous n’étiez plus le même, et j’ai compris tout de suite  : voilà un garçon qui n’a pas le cœur tranquille. Il fait des projets pour les visites qu’il viendra faire avec moi demain, mais ce soir il sera sur la route de Paris.  »

– Cela me fait de la peine, mon pauvre loup, me dit Maman d’une voix troublée, de penser