Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/320

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Ne dites pas  : la vie est un joyeux festin  ;
Ou c’est d’un esprit sot ou c’est d’une âme basse.
Surtout ne dites pas  : elle est malheur sans fin  ;
C’est d’un mauvais courage et qui trop tôt se lasse.

Riez comme au printemps s’agitent les rameaux.
Pleurez comme la bise ou le flot sur la grève.
Goûtez tous les plaisirs et souffrez tous les maux.
Et dites  : c’est beaucoup, car c’est l’ombre d’un rêve.

Les écrivains que nous admirons ne peuvent pas nous servir de guides, puisque nous possédons en nous comme l’aiguille aimantée ou le pigeon voyageur, le sens de notre orientation. Mais tandis que guidés par cet instinct intérieur nous volons de l’avant et suivons notre voie, par moments, quand nous jetons les yeux de droite et de gauche sur l’œuvre nouvelle de Francis Jammes ou de Maeterlinck, sur une page que nous ne connaissons pas de Joubert ou d’Emerson, les réminiscences anticipées que nous y trouvons de la même idée, de la même sensation, du même effort d’art que nous exprimons en ce moment, nous font plaisir comme d’aimables poteaux indicateurs qui nous montrent que nous ne nous sommes pas trompés, ou, tandis que nous reposons un instant dans un bois, nous nous sentons confirmés dans notre route par le passage tout près de nous à tire-d’aile de ramiers