Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/60

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que tous ceux de mes lecteurs que je connais me diront  : « Pas fameux, votre article  », «  Bien mauvais  », «  Vous avez tort d’écrire  », tandis que moi, pensant qu’ils ont raison, voulant me ranger à leur avis, j’essaye de lire mon article avec leur esprit. Mais je ne peux pas plus prendre le leur qu’ils n’ont pu prendre le mien. Dès le premier mot, les ravissantes images se lèvent en moi, sans partialité, elles m’émerveillent l’une après l’autre, il me semble que c’est fini, que c’est ainsi là, dans le journal, qu’on ne peut pas faire autrement que de les recevoir, que s’ils faisaient attention, si je le leur disais, ils penseraient comme moi.

Je voudrais penser que ces idées merveilleuses pénètrent à ce même moment dans tous les cerveaux, mais aussitôt je pense à tous les gens qui ne lisent pas Le Figaro, qui peut-être ne le liront pas aujourd’hui, qui vont partir pour la chasse, ou ne l’ont pas ouvert. Et puis, ceux qui le lisent liront-ils mon article  ? Hélas  ! ceux qui me connaissent le liront s’ils voient ma signature. Mais la verront-ils  ? Je me réjouissais d’être en première page, mais je crois au fond qu’il y a des gens qui ne lisent que la deuxième. Il est vrai que, pour lire la seconde, il faut déplier le journal, et ma signature est juste au milieu de la première page. Pourtant, il me semble que, quand on va tourner la deuxième page, on n’aperçoit de la première page que les colonnes de droite. J’essaye, je suis le monsieur pressé de voir qui il y avait chez Mme de Fitz--