Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/92

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Et puis elle n’a plus pu parler. Une fois seulement elle vit que je me retenais pour ne pas pleurer, et elle fronça les sourcils et fit la moue en souriant et je distinguai dans sa parole déjà si embrouillée  :

Si vous n’êtes Romain, soyez digne de l’être.

– Maman te rappelles-tu que tu m’as lu La Petite Fadette et François le Champi, quand j’étais malade  ? Tu avais fait venir le médecin. Il m’avait ordonné des médicaments pour couper la fièvre et permis de manger un peu. Tu ne dis pas un mot. Mais à ton silence je compris bien que tu l’écoutais par politesse et que tu avais déjà décidé dans ta tête que je ne prendrais aucun médicament et que je ne mangerais pas tant que j’aurais la fièvre. Et tu ne m’as laissé prendre que du lait, jusqu’à un matin où tu as jugé dans ta science que j’avais la peau fraîche et un bon pouls. Alors tu m’as permis une petite sole. Mais tu n’avais aucune confiance dans le médecin, tu l’écoutais avec hypocrisie. Mais pour Robert comme pour moi, il pouvait nous ordonner tout  ; une fois qu’il était parti  : «  Mes enfants ce médecin est peut-être beaucoup plus savant que moi, mais votre Maman est dans les vrais principes.  » Ah  ! ne nie pas. Quand Robert viendra, nous lui demanderons si ce n’est pas vrai.

Maman ne pouvait s’empêcher de rire à l’évo-