Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/96

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– Embrasse-moi encore une fois, ma petite Maman.

– Mais, mon Loup, c’est stupide, voyons ne t’énerve pas, il faut que tu me dises au revoir, que tu te portes à merveille et que tu te sentes capable de faire dix lieux.

Maman me quitte, mais je repense à mon article et tout d’un coup j’ai l’idée d’un prochain  : Contre Sainte-Beuve. Dernièrement, je l’ai relu, j’ai pris contre mon habitude des quantités de petites notes que j’ai là dans un tiroir, et j’ai des choses importantes à dire là-dessus. Je commence à bâtir l’article dans ma tête. À toute minute des idées nouvelles me viennent. Il n’y a pas une demi-heure de passée, et l’article tout entier est bâti dans ma tête. Je voudrai bien demander à Maman ce qu’elle en pense. J’appelle, aucun bruit ne répond. J’appelle de nouveau, j’entends des pas furtifs, une hésitation à ma porte qui grince.

– Maman.

– Tu m’avais bien appelé, mon chéri  ?

– Oui.

– Je te dirai que j’avais peur de m’être trompée et que mon Loup me dise  :

C’est vous Esther qui sans être attendue…
Sans mon ordre on porte ici ses pas.
Quel mortel insolent vient chercher le trépas.