Page:Psichari - L'Appel des armes (1919).djvu/53

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tard de nous les historiens ? Nos enfants verront dans leur manuel : « De 1880 à 19.., le commerce et l’industrie prospérèrent ! » Gai il faut voir plus loin. À quoi servons-nous, sinon à faire l’histoire, et si nous ne la faisons pas, qui la fera ?

Il y eut un silence que rompit le lieutenant. Il parlait obscurément, comme pour lui-même, mais Nangès entendit bien :

— Voilà, disait-il, où peut mener l’oubli du sol natal.

Cette grave conversation ne prit fin que lorsque les deux officiers arrivèrent au monument des marins morts à la colonie. Il y eut un moment de recueillement. Nangès et le lieutenant restaient silencieux avant de se quitter, comme étonnés de ces pensées sévères, insistées, dans le trantran quotidien du métier. Nangès était incertain.

Le lieutenant allait au bridge. Mais lui, décidément, n’irait pas. Le trouble de son âme était trop grand. Il lui fallait du recueillement. Il préférait rentrer chez lui, pour y passer un de ces longs après-midi grisailleux, inemployés, comme le retour chez soi après une malheureuse croisade.