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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/10

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PHYLLIS

déranger l’harmonie de ses fraîches toilettes, bien simples, mais toujours seyantes.

Pourtant, dois-je le dite ? il lui arrive quelquefois de… bouder… oh ! rarement ! Car elle possède un vrai talent pour esquiver les sujets désagréables qui seraient de nature à troubler la quiétude de son esprit.

Nous avons tous une sainte terreur de notre père. De maman, pas autant, et, par conséquent, c’est elle que nous préférons.

Papa est extrêmement calme et bien élevé, deux qualités que nous n’apprécions guère, car, lorsque sa disgrâce tombe sur Billy et moi, ce qui nous arrive fréquemment, ce sang-froid et cette bonne éducation deviennent si terribles qu’il n’a qu’à froncer les sourcils pour nous faire trembler.

Moi, surtout, je suis sa bête noire.

Mes manières agacent ses nerfs sensibles, aussi je m’entends sans cesse comparer défavorablement à la douce et belle Dora.

Il déteste les expansions et j’ai le malheur de posséder une nature affectueuse… surtout à l’endroit de maman et de Billy.

Nous sommes faits de longue date à la plus stricte économie. Une toilette neuve est chose rare chez nous et toutes les distractions qui se doivent payer, l’argent à la main, sont considérées comme un luxe inouï.

Cependant, comme il faut « soutenir son rang » suivant l’expression paternelle, il n’est pas rare de voir ma chère maman escortée de Dora, en toilette claire, monter dans l’équipage antédiluvien qui est notre seul moyen de locomotion. Elles vont faire des visites dans les châteaux environnants. Cet équipage nous vient d’héritage et a dû coûter dans les temps anciens une somme fabuleuse ; mais, aujourd’hui, la calèche antique et démodée, attelée au gros cheval de la ferme, fait si piteuse figure, que ma sœur ne cesse de soupirer quand elle s’y installe avec des mines dégoûtées.

Je ne suis jamais emmenée dans les tournées de visites. Je ferais sans doute trop peu d’honneur à la famille et, pour être franche, je n’en suis pas fâchée.

Et puis, il faut bien que l’une de nous reste à la maison pour veiller aux soins du ménage.

Dois-je l’écrire ? Oui, dans ce petit cahier je veux être sincère avec moi-même et mère m’a promis de ne pas chercher à me lire… Je ne puis me dissimuler que l’on me traite ici en petite Cendrillon.

Et cela le plus naturellement du monde !

Que de fois, au moment de monter en voiture, maman m’a-t-elle recommandé :