Aller au contenu

Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/12

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
PHYLLIS

années que l’ancien mourut, le laissant son héritier.

Après un long séjour à l’étranger, notre voisin revient à son pays natal avec l’intention de s’y fixer.

M. Carrington n’a guère plus d’une trentaine d’années ; grand, blond, distingué, instruit, c’est un parti superbe, et toutes les demoiselles à marier du comté ont les yeux fixés sur lui.

Mais mère a décrété qu’il serait à miss Dora Vernon et à nulle autre. C’est une affaire décidée.

Et cela me fait penser à la visite d’aujourd’hui. Quelle visite ! et quels apprêts !

M. Carrington, arrivant plus tôt qu’il n’était attendu, entra par la porte-fenêtre du salon en homme parfaitement au courant des aitres de la maison.

Maman n’ayant pas terminé sa toilette, nous y étions seules, Dora et moi, et, circonstance de bon augure, à peine entré, notre hôte attira une chaise et s’assit tout près de Dora.

Dora s’était composé une attitude digne de tenter le pinceau d’un maître. Ses jolies bouclés d’or retombant sur son cou, ses yeux modestement baissés, elle faisait du crochet ! — Je crois bien avoir vu cette dentelle traîner dans un tiroir depuis le dernier voyage de notre vieille tante Pricilla.

Quoi de plus gracieux et qui convienne mieux à ses doigts blancs que le vif petit crochet qui glisse entre les mailles !

Chose bizarre ! Bien que M. Carrington fût auprès de ma sœur, il m’était impossible de lever les yeux sans rencontrer les siens, fixés sur moi. J’eus ainsi le loisir de les examiner : ils sont grands, bleus et profondément bons. Ce sont de ces yeux qui montrent le fond du cœur.

Son visage, d’ailleurs, est fort plaisant avec ses traits réguliers et sa petite moustache blonde qu’il porte rasée au bord de ses lèvres fines. Pourtant le bas de sa figure ne manque pas de fermeté.

— Savez-vous, dit-il à ma sœur pendant que je me livre à l’inventaire de sa personne, que j’éprouve une véritable affection pour cette maison. J’y suis né et l’ai habitée jusqu’à la mort de mon père.

— Oui, je sais cela, dit Dora avec un doux regard, et je me demande si vous ne voyez pas sans tristesse des étrangers vivre sous votre toit ?

— Quand il s’agit de vous, miss Vernon, quel regret pourrais-je conserver ? dit notre hôte fort galamment.

Décidément, cela commence bien.

— Ah ! continue M. Carrington, d’un air sentimental, combien j’ai eu tort de rester si longtemps