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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/181

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PHYLLIS

Bien que ce fût un retard de cinq minutes, je ne voulus pas le priver du plaisir d’ouvrir l’immense grille devant ma fluette personne et je la passai triomphalement, tandis que le bonhomme, incliné très bas, saluait.

J’allai trouver l’entrée du vestibule par lequel j’étais partie.

C’était ouvert, j’y entrai sans bruit.

Du côté de l’office et des cuisines me parvinrent des voix animées, les gros rires des cochers et valets et les accents plus aigus des femmes, mêlés à des cliquetis de verres.

On fêtait agréablement le départ des maîtres. Je sonnai.

Un temps assez long se passa, puis Anna parut, rouge, embarrassée, et visiblement ahurie de me voir :

— Madame a sonné ?

— Oui, dis-je d’un ton très naturel. Je désirerais voir Tynon.

— Tynon n’est plus ici, madame, dit cette fille en me dévisageant avec un air d’insolence, il n’y est plus pour longtemps, il est parti avec Monsieur.

Je la regardai tranquillement, sans me démonter.

— Bien. Faites venir Mrs. Hedgins.

La femme de charge entra peu après.

Mrs. Hedgins fit une grande révérence qui cassa aux plis son tablier de soie noire.

— Enfin, ma chère dame, s’écria-t-elle en joignant les mains, vous voici revenue ! Un jour trop tard !

— Oui, un jour trop tard, répétai-je. Mais vous saurez peut-être où il est allé ?

— Hélas ! Madame, personne ne le sait. Monsieur était tombé dans la neurasthénie depuis le départ de Madame ; personne ne pouvait lui parler, sauf Tynon, et encore !… Nous savons que Monsieur est allé sur le continent, c’est tout… Il a dû s’embarquer hier. Et il a donné des ordres comme s’il ne devait pas revenir.

Je poussai un soupir que l’excellente femme interpréta à sa manière, car, en relevant les yeux, je vis les siens fixés sur moi avec une sincère sympathie.

— Personne n’est venu en mon absence ? demandai-je avec hésitation.

— Pardon. Sir Garlyle est venu hier et il a causé longuement avec Monsieur.

— Je le savais. Mais… personne d’autre ?

La vieille femme lut sur mon visage le sens de mes paroles.

— Non, Madame, dit-elle baissant un peu la voix, la « personne » n’a pas pu revenir ici. Ce n’est pas qu’elle ne l’ait point essayé ; on l’a encore vue rôder