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PHYLLIS

de la rivière qui bondissait plus loin sur les cailloux où clapotait le long de ses rives.

Ou encore le frémissement des feuilles et le froufrou de soie des ailes de libellules et de papillons.

Ce coin délicieux était fait à plaisir pour procurer l’apaisement à toute créature humaine.

Hélas ! il n’en pouvait être ainsi pour mon pauvre cœur !

À peine mes paupières se furent-elles fermées que la pensée de nos heureux jours d’autrefois me revint, passant dans mon esprit comme une vision radieuse, puis, aussitôt, ce fut le contraste des derniers mois, toute la succession des jours ternes et sombres où ma vie de femme heureuse s’est effondrée comme en un trou sans fond.

J’avais tant espéré un mot de lui ce matin !… Mon cœur battait à se rompre quand j’ai franchi la grille de Strangemore et je m’attendais presque à le revoir debout sur le seuil, m’attendant avec son bon sourire de jadis.

Et puis rien !… Pourtant, il n’avait pu oublier l’anniversaire de ce jour.

En quelque endroit perdu de la terre qu’il fût en ce moment, le souvenir de ce temps délicieux devait le hanter.

Mark ! Mark chéri ! Quel horrible sort nous séparait ! Les années passeraient-elles ainsi, sans que je vous revoie, mon cher amour ?

Étiez-vous enterré dans une Thébaïde, pleurant toujours votre femme qui vous aime et vous tendait les bras !

Dans dix ans, pensai-je, si mon supplice doit durer cette éternité, je serai presque une vieille femme, la douleur aura flétri mon visage et blanchi mes cheveux… Vous ne me reconnaîtrez plus !

Oh ! être près de vous aujourd’hui comme il y a un an, sous vos regards caressants, et rentrer la main dans la main dans notre chère demeure, l’un à l’autre pour toujours ! Cela, c’était le rêve… Mais quelle atroce réalité !

Pour la centième fois, peut-être, quand j’étais sûre de ne pas être épiée, je sortis de mon corsage où je la portais sans cesse la dernière lettre de mon mari.

Et, comme d’habitude, je la couvris de larmes et de baisers. Lui aussi il souffrait, il m’appelait, sans doute. La pensée de sa douleur ajoutée à la mienne me désespéra davantage encore.

Je pleurai longtemps jusqu’à ce qu’enfin le sommeil et la chaleur vinssent m’apporter l’oubli de tout.

Je m’endormis la joue appuyée au papier trempé