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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/59

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PHYLLIS

Il se mit à me parler avec animation de tous les ballets auxquels il avait assisté en Russie, en Norvège et ailleurs, et jusqu’à l’hôtel il me fut impossible de placer un mot. Oh ! j’en suis certaine maintenant, la femme qu’il a aimée était une Américaine, c’est pourquoi il ne veut plus entendre parler de ce pays.

Mais, n’ai-je pas le droit de savoir ?

Pourquoi toute une longue phase de la vie de mon mari me demeurerait-elle inconnue ?

Cette femme il l’a aimée, aimée passionnément. Son souvenir n’est pas mort puisqu’il éprouve le besoin de parler encore d’elle, et moi… moi, sa femme, je n’en connaîtrai rien ?

Je sais ce que je vais faire.

Je connais l’adresse de M. Brewster et j’irai le trouver. Peut-être voudra-t-il parler… ou du moins… dans ses réticences je comprendrai…

Je m’arrête et je réfléchis — comme mère me disait souvent de le faire — avant de prendre une grave décision.

Si Mark, connaissait ma démarche — et il l’apprendrait sûrement par son ami — il m’en voudrait horriblement. La paix de notre ménage serait troublée, ma suspicion lui serait odieuse et il en viendrait peut-être à me détester. Je ne serais plus son enfant gâtée tant, tant aimée !

Oh ! non, ce serait folie, ce serait agir en enfant qui casse sa poupée pour voir ce qu’il y a dedans.

Gardez votre secret, mon cher mari, c’est une vieille affaire du passé qu’il ne faut pas réveiller, vous avez raison.

Le passé est dans les choses mortes et le beau présent m’appartient. Je ne veux plus qu’il ait ce regard troublé et cette barre au front. Nous partirons… c’est décidé.

Ce matin, à peine réveillée, je regardais le jardin des Tuileries tout enveloppé de brumes, qui s’étendait sous mes fenêtres. Une petite pluie d’automne fine et pénétrante tombait. Et soudain j’eus la vision de Summerleas dans ce beau jour de septembre, le jour où nous l’avions quitté.

La nostalgie me saisit avec une force qui devint un désir impérieux de partir…

Il me sembla qu’en fuyant vers notre « home » si aimé, Mark laisserait derrière lui ses mauvais souvenirs, et cette force intérieure me poussa à lui dire :

— Que Strangemore doit être beau en ce moment, paré des feuilles d’automne. Il me semble être au milieu du grand bois, vous savez, là où les arbres sont si serrés que l’on ne sent même pas la pluie tomber.