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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/74

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PHYLLIS

Sans bouger de place, je pus lire la première ligne qui s’étalait en grosse écriture masculine sur la feuille entr’ouverte :


« 10 décembre 19…

« Cher ami. Je viens enfin de recevoir les nouvelles d’Amérique que vous… »

Je me sentis pâlir. Cependant je réussis à dire d’une voix calme :

— Mark, vous avez perdu un papier… voyez donc.

Il se baissa très vite, regarda, poussa la lettre du pied et dit d’un ton indifférent :

— Ce n’est rien, une vieille lettre sans importance.

Je faillis lui crier :

— Ce n’est pas vrai ! Elle est datée de la semaine dernière… Ne la trouvant peut-être pas assez loin de moi, il en fit une boule qu’il envoya au bout de la pièce.

Puis il se remit nerveusement à frotter son fusil… J’ouvris la bouche pour parler… Je n’osai pas… Troublée, chagrine, je sortis sans ajouter un mot.

. . . . . . . . . . . . . . .

Toute la soirée d’hier et la longue journée d’aujourd’hui je ne pus trouver un instant de solitude pour me recueillir et mettre un peu d’ordre dans mes pensées.

En sortant du cabinet de Mark, j’avais la tête en feu, je sentais mes jambes flageoler et, la main posée sur la poignée de la porte, je restai là, figée, hésitant à rentrer pour me jeter dans ses bras, pour lui crier :

— Montrez-moi cette lettre, je veux la voir, j’en ai le droit, tout doit nous être commun… Pourquoi me mentez-vous, ce n’est pas une vieille lettre et j’ai vu trembler vos mains comme vous repreniez votre fusil. Vous avez détourné la tête, évité mes yeux… Oh ! Mark, donnez-la-moi, même si je dois en souffrir. Je préfère cela à ce doute affreux…

Oui, j’aurais dû rentrer, lui dire tout cela d’une haleine et peut-être que…

Non ! Il m’aurait prise dans ses bras comme on tient un enfant. Il m’aurait caressée, cajolée, m’aurait appelée sa petite fille aimée, m’aurait suppliée de revenir à la raison, de ne pas me monter la tête pour des riens et il ne m’aurait pas montré sa lettre…

Alors je suis partie tout à coup, me sauvant comme si j’avais commis un crime.

J’aurais voulu être seule, tranquille en rentrant dans ma chambre ; mais Anna m’attendait déjà pour me passer ma toilette de dîner.

Pondant qu’elle m’habillait, une idée me vint soudain : si cette lettre était réellement sans aucune