Aller au contenu

Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
PHYLLIS

Lilian me regardait si fixement que je baissai les yeux.

— Cependant, il ne peut éloigner l’ancien souvenir, finit-elle, à moins que ce ne soit l’ancien souvenir qui ne se cramponne à lui. Il y a des femmes, vous savez, qui n’admettent pas qu’on les oublie. Eh bien ! ce que j’en pense ?

« Si j’avais aimé mon mari… d’amour, j’aurais été jalouse comme une tigresse, j’aurais recherché l’autre pour lui arracher les yeux… ou du moins je lui aurais demandé poliment de me rendre « ses » lettres et l’aurais priée avec beaucoup de douceur de laisser mon mari tranquille, si elle tenait tant soit peu à l’existence. Voilà !

« Maintenant, si je n’avais éprouvé pour mon époux qu’une affection raisonnable (elle me regarda encore curieusement, je ne sais pourquoi), puisque vous dites qu’il est le meilleur des maris, je me serais contentée de mon sort, sans rien chercher à savoir, fermant les yeux, même, de peur d’apprendre de trop pénibles choses… Je crois vraiment que c’est là le parti le plus sage… savoir se contenter de son sort tel qu’il est !… Ah ! si j’avais su accepter sans tant de raisonnements celui qui s’offrait à moi il y a deux ans, tout pauvre qu’il me parût…

Elle haussa encore les épaules comme pour prendre en pitié sa sottise.

— Vous ne l’aviez jamais revu jusqu’à ce soir ?

— Non, jamais. Un mois après il partait pour l’Inde, ayant demandé à permuter avec un camarade. Je n’avais plus reçu aucune nouvelle de lui. Et tout à coup on apprit la chance inouïe qui lui arrivait : le titre et cet héritage fabuleux. Il donna sa démission, puis, au lieu de rentrer en Angleterre, il partit pour l’Italie. Aussi, vous pouvez imaginer le choc que je reçus en le voyant paraître ainsi brusquement sous votre toit.

— Je me demande, fis-je rêveuse, comment il se fait qu’après son changement de fortune il ne soit pas revenu vous demander de nouveau.

— C’est parce qu’il savait trop bien comment je l’aurais reçu, me dit Lili en redressant fièrement la tête… J’ai fait contre mauvaise fortune bon cœur et je me suis distraite autant que j’ai pu, pour noyer mes chagrins.

« Et lui, il ne paraît pas avoir trop souffert, n’est-ce pas ! Il n’a jamais eu une mine si florissante… Bah ! fit-elle en secouant tous ses cheveux bouclés, les hommes ne valent pas qu’on se fasse tant de souci pour eux…

Et se tournant vers moi tout d’une pièce :