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Page:Pujo - Phyllis, 1922.djvu/91

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PHYLLIS

L’orchestre lointain enveloppait d’harmonie ce tableau de rêve.

Nous allions tourner le coin d’une petite allée… une voix connue frappa mon oreille ; sir Francis fit un léger mouvement et, tout à coup, nous nous trouvâmes face à face avec lady Blanche et mon mari.

Aucune raison ne pouvait les empêcher d’être là, seuls, tous deux. Cependant, lorsque mes yeux tombèrent sur eux, un étrange sentiment fait de colère et de tristesse m’assaillit.

Toute ma folle gaîté tomba brusquement.

En considérant Mark de plus près, je m’aperçus aussi d’un changement dans l’expression de sa physionomie.

Il serrait les lèvres fortement et ses narines palpitaient comme s’il avait eu peine à réprimer une émotion quelconque.

Sa Seigneurie, admirable dans ses splendides atours et chargée de pierreries qui renvoyaient mille feux dans l’obscurité, ne daigna pas bouger à notre approche.

Ses longs yeux noirs agrandis au crayon paraissaient langoureux et doux, un sourire figé sur ses lèvres peintes découvrait ses dents étincelantes.

Il m’était difficile sans une grave impolitesse de me détourner et de partir.

Interdite, toute mince et petite comme si j’eusse été vraiment une pauvre enfant des grands chemins, je restais debout devant la belle odalisque qui daigna enfin me parler la première.

— Vous amusez-vous beaucoup ? me demanda-t-elle d’une voix suave.

Je répondis d’un ton glacial :

— Oui, madame, beaucoup.

— Vous en avez l’air, en effet, mais les ombrages où l’on peut jouir d’un agréable tête-à-tête me paraissent aussi avoir des charmes pour vous.

— Je pourrais en dire autant de vous, chère cousine. Cependant je préfère danser. J’ai encore devant moi pas mal d’années avant de me passer de cet exercice.

— Oui. Vous voulez dire que vous vous reposerez quand vous serez devenue une vieille femme comme moi… D’ailleurs, ajouta-t-elle en dardant sur sir Francis un regard aigu, vous avez un danseur hors ligne. On se l’arrachait jadis.

Sir Francis ébaucha un léger salut.

— Alors, répondis-je affectant une amabilité exagérée, il est doublement aimable de perdre son temps avec une novice telle que moi !