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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/10

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Elle poussa la porte.

Maurice de Lissac était assis devant sa table de travail ; en face de lui, une dame que Marie ne connaissait pas.

— Approche, mon enfant.

Après un petit salut adressé à l’étrangère, Marie se serra contre son père craintivement.

— Mademoiselle, je vous présente votre élève. Marie, Mademoiselle veut bien se charger de ton éducation. Il faudra, n’est-ce pas, lui obéir et l’aimer.

Il avait passé un bras autour de la taille de sa fille et, de l’autre main, doucement, caressait ses cheveux. C’était un père tendre que Maurice de Lissac, et, bien que gardant de sa douleur jamais apaisée, un aspect parfois sévère et un goût pour la solitude, soigneux du bien-être de son enfant et désireux de son affection.

Les grands yeux de Marie, un peu effarés, dévisagèrent l’inconnue.

C’était une jeune femme d’aspect délicat, petite, sans fraîcheur ni beauté. Elle avait dans sa physionomie, cette douceur profonde de ceux qui ont souffert, mais que la souffrance n’a point aigris.

Avec l’instinct sûr des enfants, Marie comprit qu’elle était bonne.

— Je crois que Marie sera vite accoutumée à vous, Mademoiselle, et je vous demande d’aimer, à votre tour, ma petite orpheline.

Les yeux gris, un peu ternes de « Mademoiselle », tout à coup s’éclairèrent du brillant des larmes.

Marie se détacha de son père pour aller vers l’institutrice ; celle-ci l’attira et la baisa au front :

— Chère enfant, je vous aime déjà, nous nous entendrons, j’en suis certaine.

L’organe musical, un peu voilé, acheva de conquérir le cœur de Marie. Elles sortirent ensemble.

Pendant que la nouvelle venue s’installait dans l’appartement qu’on lui avait préparé, Marie courait à la recherche de Fanchette pour lui faire part de la grande nouvelle.

Marie était sans inquiétude ; son institutrice paraissait bonne, elle sentait qu’elle pourrait l’aimer et ne prévoyait rien des modifications que la présence de « Mademoiselle » allait apporter dans sa vie.

Rien n’était changé depuis sa petite enfance, sauf la dimension des deux couchettes qui voisinaient avec le lit de Madeleine dans la grande chambre claire. M. de Lissac avait indiqué vaguement le désir que Marie eût son appartement particulier et cessât de partager celui de la nourrice et de sa fille.

Madeleine comprenait qu’il faudrait en venir là, mais l’exécution se retardait encore. Marie était si enfant !

La bonne nourrice la gardait avec un soin plus tendre, plus attentif que celui qu’elle prodiguait à sa propre fille. Fanchette, du soir au matin, dormait d’un sommeil robuste comme sa santé et son esprit ; mais Marie, plus frêle et très nerveuse, était sujette à des insomnies, à des frayeurs soudaines, sortes de spasmes qui, brusquement, l’éveillaient en pleine nuit.

Attentive au moindre mouvement, au moindre soupir de l’enfant, Madeleine savait les moyens à prendre pour la calmer. Quelques gouttes d’éther, une infusion de tilleul, surtout sa présence, la petite main de Marie tenue dans les siennes, des paroles familières, murmurées tout bas, sous la lueur rassurante de la veilleuse ; et les battements du pouls devenaient plus espacés, plus larges ; l’oppression nerveuse se desserrait, le sommeil venait enfin.

Comment Madeleine se fût-elle décidée à s’éloigner de ce pauvre petit être faible auquel elle se sentait si nécessaire !