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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/9

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Les ouvriers coupaient au pied les grandes tiges, les réunissaient par paquets que l’on devait emporter à la ferme et remiser sous un hangar. Là, durant les veillées de l’hiver, tout le personnel de la ferme, souvent augmenté de voisins qui venaient aider et que l’on aidait ensuite, devait s’occuper à dégager les épis dorés du milieu de leurs nids de feuilles. Tiges et feuilles séchées constituent une nourriture substantielle pour les animaux.

Ces veillées sont l’occasion de grandes réjouissances, pendant les longues soirées : on s’y réunit, à la clarté des lanternes ; on y chante les chansons patoises du vieux temps ; les vieillards y racontent les antiques légendes, et les jeunes, nouant entre eux, les liens de rustiques fiançailles, y redisent l’éternelle histoire toujours antique et toujours nouvelle.

Mais pour l’instant, sous le soleil encore chaud, au milieu du guéret où chatoyait la soie jaune des feuilles, filles et garçons coupaient les tiges d’une main preste, tandis que le métayer, sur sa charrette traînée par les petites bœufs bruns aux cornes fines, venait avec sa fourche, charger le tout pour l’engranger avant la nuit.


Marie et Fanchette s’amusaient à recueillir, au milieu du maïs, la longue chevelure qui, souvent, s’échappe de l’épi comme un écheveau de soie jaune ou mordorée, avec une odeur d’herbe un peu âcre.

Madeleine arriva, elle cherchait les enfants.

— Marie, il faut rentrer, ton papa te demande.

— Papa ? il n’est donc pas allé à la chasse, aujourd’hui ?

— Non, il est au château, il a besoin de toi.

Une gravité inaccoutumée se lisait sur le visage jovial de la nourrice.

— Allons, petite, ne fais pas attendre monsieur.

— J’y vais, j’y vais, Fanchette, papa nous demande, dépêche-toi.

— C’est toi que demande ton papa, Fanchette peut rester ici.

Marie leva son petit visage étonné.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’on n’a pas besoin d’elle ; de toi seulement.

— Ah ! Eh bien, j’y vais.

Quelque chose comme un pressentiment agitait l’enfant.

— Fanchette, viens tout de même, tu m’attendras dans notre chambre et j’irai te retrouver aussitôt que papa m’aura parlé. Qu’est-ce qu’il me veut ?

Tout en monologuant cette question, à petits pas, Marie remontait vers le château, le cœur battant, et la tête toujours tournée en arrière pour voir si Fanchette la suivait.

Mais Fanchette, tête baissée, serrant contre elle le petit tablier d’où s’échappaient çà et là, quelques chevelures jaunes de maïs, écoutait sa mère qui semblait lui dire des choses très sérieuses, des choses qui, sans doute, ne lui agréaient pas, car ses lèvres se serraient en une moue boudeuse et gardèrent ensuite cette crispation des larmes réprimées.

Toujours lente, toujours regardant derrière elle si Fanchette ne venait pas, Marie pénétra dans la maison, traversa le vestibule et, par un passage contournant le grand salon, toujours fermé, s’approcha du cabinet de travail où se tenait habituellement son père.

Un murmure de voix résonnait à travers la porte. Timide, un peu sauvage, Marie hésitait à entrer, mais son pas léger l’avait trahie :

— C’est toi, Marie ?

— Oui, papa.