Aller au contenu

Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Marie se précipita dans la chambre avec une vivacité assez rare chez elle :

— Fanchette, Fanchette, où es-tu ? Ah ! te voilà, tant mieux, écoute…

Fanchette était assise sur une chaise basse, près de son lit, aussi étrangement tranquille que Marie paraissait étrangement excitée. Madeleine, très absorbée en des rangements, le nez dans un grand placard, écouta la conversation des deux enfants sans y prendre part.

— Tu ne sais pas, Fanchette, demanda Marie en se plantant debout devant sa sœur de lait, tu ne sais pas ? J’ai une institutrice.

— Si répondit Fanchette, la voix composée, je sais.

— Tu sais ! Comment sais-tu ? Papa vient seulement de me le dire en me présentant à Mademoiselle.


Elle fit une pause, comme prévoyant une question. Fanchette ne dit rien.

— Tu verras comme Mademoiselle paraît bonne ! Elle a dit qu’elle m’aimerait, et elle m’a embrassée. Je crois qu’elle ne va pas être sévère.

Fanchette ne parlait toujours pas, lentement, sa bouche se contractait de plus en plus, et des larmes, de ces larmes d’enfant toujours prêtes à s’épancher, comme les pluies printanières, des larmes coulèrent sur ses joues.

— Qu’as-tu ? Pourquoi pleures-tu ? demanda Marie, atterrée de surprise.

Que Marie pleurât elle-même, Marie, souvent triste, toujours plus ou moins inquiète ou énervée, c’était bien. Mais Fanchette ! Fanchette, la joyeuse fille, jamais à bout d’expédients, Fanchette, à qui Marie venait pour être consolée ! Que Fanchette pleurât ainsi ! Non cela ne devait pas être ! Il fallait que quelque chose allât très mal pour faire pleurer Fanchette.

Et Marie continuait à la regarder avec une frayeur toujours accrue.

— Mais qu’as-tu, Fanchette, enfin, qu’as-tu ?

La bouche se tordit tout à fait, les sanglots éclatèrent, la réponse vint, étranglée, hachée, presque inintelligible.

— Ah ! elle paraît bonne ! ah ! elle va t’aimer et tu l’aimeras aussi ! Eh bien, je la déteste, moi, ta dame, je la déteste !

Marie regardait Fanchette en s’effarant de plus en plus.

Bondissant de sur sa chaise, Fanchette se dressa :

— Oui, je la déteste, cria-t-elle, parce qu’elle va te prendre à moi, ta dame ; elle ne vient que pour ça, maman me l’a dit ; parce que toi, tu es une demoiselle et que moi je suis une paysanne, et qu’il faut que tu apprennes une foule de choses, l’histoire, les jolis ouvrages, le piano et tout, et comment on se tient dans un salon et comment on parle quand on est une demoiselle. Moi, c’est bien assez que je sache lire, écrire et coudre, et rapiécer les sacs et garder les bêtes aux champs. Et tu resteras, toi, avec ta dame, et je ne te verrai plus et tu l’aimeras, ta dame, et tu ne voudras plus m’aimer.

Marie se sentait émue aussi, prête à pleurer, mais elle essaya de se raidir. Quel les idées étranges se faisait Fanchette ! Il fallait être plus raisonnable ; il semblait à Marie qu’elle venait de conquérir une dignité nouvelle, une supériorité sur sa petite compagne, il fallait la consoler sans se laisser attendrir :

— Moi, ne plus t’aimer, et pourquoi ? Quelle sottise ! Tu es folle, comment veux-tu que je cesse de t’aimer ?

— Non, tu ne m’aimeras plus ! Non, bien sûr, tu ne m’aimeras plus ! Ta dame ne te permettra pas, d’abord ; je ne suis qu’une paysanne, et toi, tu dois « faire so-