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ciété » avec les demoiselles. Et je ne pourrai plus rester toujours avec toi, maman me l’a dit ; la preuve, c’est qu’on va te faire une chambre pour toi seule, à côté de ton institutrice, et qu’on va ôter ton lit d’ici où je resterai seule avec maman, si on veut encore nous y laisser, ainsi tu vois…

Tout à fait impuissante à en dire plus long, et sa colère un peu noyée dans les larmes, Fanchette se jeta sur son petit lit et pleura abondamment.

Pour Marie, c’était trop. Aucun des petits avantages d’amour-propre que lui conférait l’acquisition d’une institutrice ne put tenir devant le chagrin de Fanchette, devant la perspective de la séparation, de l’exil, loin de cette chambre, loin de ce premier nid de toute son enfance. Elle entrevit des modifications terrifiantes qui devaient se faire dans sa vie et qui ne lui étaient pas apparues d’abord.

Tout son nouveau et fragile courage s’effondrait brusquement, elle courut au lit de Fanchette, et se précipita sur elle avec des sanglots éperdus.

— Mon Dieu, mon Dieu, ne pleure pas, toujours. Je veux rester avec toi, je ne m’en irai pas de la chambre, je n’aimerai pas la dame, je ne veux plus la voir, je ne pleure pas, va ; je t’aime, je t’aimerai veux que toi, je n’y tiens pas, va, à la société des demoiselles, non, je n’y tiens pas du tout ; mais je ne veux pas que tu pleures ! Mon Dieu, mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir si tu pleures comme ça !

C’était elle, maintenant, la plus désolée, car ses baisers et ses promesses avaient déjà réconforté Fanchette qui se calmait Un peu. Elles s’étreignirent en sanglotant.

Tout à coup, Fanchette, animée, toujours prête à la lutte, se détacha de Marie, et, relevée sur ses coudes, avec ses cheveux tombants jusqu’à ses yeux qui étincelaient :

— C’est vrai, tu ne veux pas qu’on emporte ton lit dans une autre chambre, dit, Marie, c’est bien vrai ?

— Oui, c’est vrai, je veux rester ici.

— Et c’est vrai que tu ne veux pas la dame, et qu’elle s’en ira ?

Marie voulait consoler Fanchette et lui eût fait volontiers le sacrifice de son institutrice. Cependant elle n’osa pas promettre qu’elle s’en irait. Néanmoins, soucieuse de ne pas démentir les serments qu’elle venait de faire au milieu de ses larmes :

— Non, je ne la veux pas, mais comment pourrai-je la faire partir ?

L’ardeur combative se réveillait en Fanchette consolée.

— Oh ! on ne peut te la faire accepter par force ; par exemple, si tu fais la muette avec elle, si tu refuses de lui parler, toujours, toujours, sans qu’elle puisse te faire dire un mot, on sera bien obligé de te l’ôter.

Marie hochait la tête, l’entreprise lui paraissait au-dessus de ses forces.

Elles étaient assises, maintenant, côte à côte, sur le lit, Fanchette leva les épaules, l’air méprisant :

— Tu ne feras jamais ça, toi, ma pauvre petite, tu n’as pas de volonté ; si c’était moi, tu verrais ! On pourrait me punir, me priver de dessert, me battre, me hacher, oui, je me laisserais hacher plutôt, mais je ne céderais pas. Je ne dirais pas une parole.

Dans l’ardeur de leur émotion, les deux enfants avaient oublié Madeleine, toujours farfouillant dans son armoire. Elle en tira une pile de linge qu’elle déposa sur la table prochaine, et vint aux deux enfants. On voyait à ses yeux qu’elle avait pleuré, son visage sévère :

— Tais-toi, Fanchette, dit-elle à sa fil-