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Page:Puybusque - L'Arme du fou, paru dans La Revue Populaire, Montréal, Sept 1918.pdf/13

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le ; tais-toi, ne donne pas de mauvais conseils à Marie. Oublies-tu ce que tu m’as promis ?

— Mais, puisque Marie ne la veut pas, son institutrice, cria Fanchette comme en triomphe, et puisqu’elle ne veut pas aller dans une chambre seule, non plus ; alors ?

— Alors, Marie comprendra qu’elle doit obéir, qu’elle doit prendre des leçons avec cette demoiselle, et l’aimer ; elle comprendra qu’elle doit avoir sa chambre, rien que pour elle, et vous serez deux bonnes petites filles bien raisonnables, toutes les deux. Tout ça n’empêchera pas Marie de nous aimer, n’est-ce pas, mon amour ?

Marie vint se jeter, pleurant encore, au cou de sa nourrice :

— Bien sûr, maman Madeleine, bien sûr, mais je voudrais rester ici, dans ta chambre, avec vous deux, et je ne veux pas que Fanchette ait du chagrin, et tu en as, toi aussi, je le vois bien, je ne veux pas que tu pleures.

— C’est un premier moment à passer pour s’accoutumer, Fanchette se consolera.

— Non, cria Fanchette, non je ne me consolerai pas, je ne veux pas m’accoutumer, et je détesterai toujours la dame. Ah ! si Marie avait du courage ! Mais elle est comme une feuille de blette, Marie !

— Tais-toi, soyez raisonnables, plus tard, vous comprendrez. Voyons, vous savez bien que vous devez vous séparer. Tu vois, Marie, que, Fanchette et moi, nous ne nous mettons pas à table à la salle à manger avec toi et ton papa.

— C’est vrai, dit Marie.

— Tu sais bien que, s’il vient une visite, nous n’allons pas nous asseoir au salon.

Il n’en vient jamais ici, dit Fanchette, l’air farouche.

Mais il faut qu’il en vienne. Chacun doit avoir sa place dans ce monde, vous pouvez le comprendre toutes les deux. Et toi, Fanchette, si tu aimes Marie, dois-tu vouloir qu’elle soit une ignorante, qu’elle n’ait pas l’éducation que doit avoir une demoiselle ? Ça te ferait-il plaisir qu’on se moquât d’elle, plus tard, qu’on la trouvât grossière et mal élevée ? Est-ce que ça s’appelle l’aimer cela ?

L’argument fit son chemin dans l’intelligence des deux enfants, mais Fanchette demeurait révoltée et Marie, méditative, s’écria tout à coup :

— J’ai trouvé, c’est bien simple ! Je demanderai à Mademoiselle de donner des leçons à Fanchette, comme à moi, et nous n’aurons pas besoin de nous séparer, veux-tu, Fanchette, que je le lui demande ?

— Tu peux le lui demander, dit froidement Fanchette, rebutée, mais c’est égal, je ne serai jamais une demoiselle, moi.


Madeleine n’intervint pas de nouveau. Elle voyait Marie décidée à accepter son institutrice et laissait au temps le soin de calmer Fanchette, peu à peu. Elle avait assez à faire de se résigner elle-même, la pauvre nourrice, et continuait, les yeux mouillés et le cœur malade, le déménagement commencé des effets de Marie dans la chambre qu’elle devait habiter désormais.

— Ma petite, dit-elle à Marie, tu dois aller retrouver ton institutrice ; ce n’est pas poli de la laisser seule si longtemps.

— Viens, Fanchette, dit Marie, je te présenterai à Mademoiselle.

— Je ne veux pas. Je ne l’aime pas.

— Viens, je t’en prie.

— Non.

— Je n’ose pas aller seule.

— Eh bien, reste ici.

— Mais, Fanchette, si tu ne veux jamais voir Mademoiselle, puisque je dois