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RÉCITS DU LABRADOR

avant la nuit, nous dressions notre tente sur une roche du rivage, où nous éprouvâmes toutes les difficultés du monde à la faire tenir et à hisser notre canot qu’alourdissaient quatre mois de navigation.

Après avoir soupé, aussi consciencieusement que possible, des reliefs d’un énorme saumon tué le matin même d’un coup de fusil, nous nous livrâmes tranquillement au sommeil. Nous étions l’un et l’autre sans inquiétude. Le canot, la tente et les provisions étaient placés au-dessus de l’atteinte des plus hautes mers, et rien, semblait-il, ne pouvait troubler un repos que nous avions bien gagné en pagayant tout un jour contre une brise assez forte. Je dormais comme un juste — c’est ainsi que je dors toujours — lorsque je fus subitement réveillé par un cri épouvantable, et mon engagé se jeta sur moi en hurlant :

— Ah ! mon Dieu ! quoi ce que c’est, monsieur ? Aidez-moi, aidez-moi !

Je le repoussai vigoureusement et, furieux, je lui criai :

— Qu’as-tu vu, s… imbécile ?

— Je ne sais pas, monsieur.

— Ni moi non plus, double idiot !

En colère, je suis d’une richesse d’expressions qui m’étonne souvent ; mais le pauvre garçon était si pâle, avait l’air tellement ahuri que je ne pus m’empêcher de rire.