Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/210

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cette domestique me dit je ne sais quoi de vol et d’autres choses qui me parurent graves. Je fus huit jours à me guérir, et au bout de ce temps à peine pouvais-je sortir. On me fit au visage douze points de suture, et il me fallut prendre des béquilles. L’argent me manquait, parce que j’avais consommé mes cent réaux au lit, en nourriture et en logement. Aussi pour ne pas faire plus de dépenses, puisque je me trouvais sans le sou, je résolus de sortir de la maison avec les deux béquilles et d’aller vendre mon habit, mes fraises et mes pourpoints, qui étaient tous en bon état. Je le fis et de l’argent que je tirai de ces effets j’achetai une vieille veste de peau de chèvre et un superbe pourpoint de toile de chanvre. Avec cela j’endossai un caban de pauvre, qui était rapiécé et long, je pris mes guêtres et mes grands souliers et je mis sur ma tête le capuchon du caban. Dans cet équipage, avec un christ de bronze que j’avais pendu au cou et un rosaire, je me fis dresser, dans le ton de la voix et dans les phrases piteuses, par un gueux qui possédait très bien le grand art de mendier. Après quoi, je commençai à exercer dans les rues ma nouvelle profession. Je cousis dans le pourpoint soixante réaux qui me restaient de la vente de mes habits et je me mis à gueuser, comptant sur ma bonne prose.

J’allai huit jours par les rues, récitant des prières et criant d’un ton lamentable : « Donnez, bon chrétien serviteur de Dieu, à ce pauvre blessé et estropié qui est dans le besoin. » C’était là le langage des