Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/85

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le loyer de la maison ? L’un disait : « Le cœur me l’a toujours dit. » Un autre : « On avait raison de me dire que c’était un maître fourbe et un grand trompeur. » Enfin je partis si fort aimé du peuple, que par mon absence j’en laissai la moitié fondant en larmes, et les autres se moquant de ceux qui pleuraient.

Je réfléchissais en route sur toutes ces choses, lorsque après avoir passé Torote, je rencontrai un homme monté sur un mulet, lequel parlait fort vite, en lui-même, et était si fort occupé de son objet, qu’il ne me voyait pas, quoique je fusse à côté de lui. Je lui fis un salut qu’il me rendit. Je lui demandai où il allait, et après quelques questions et réponses de part et d’autre, la conversation tomba sur la descente du Turc et sur les forces du Roi. Il commença par m’exposer la manière dont on pourrait conquérir la Terre-Sainte, comment on s’emparerait d’Alger, et à ses discours je compris que c’était un fou politique. Nous causâmes assez gaîment, jusqu’à ce que, passant d’une chose à l’autre, nous vînmes à parler de la Flandre.

Il commença de soupirer, et dit : « Ces états me coûtent plus à moi qu’ils ne coûtent au roi. Depuis quatorze ans je médite un expédient qui aurait déjà tout pacifié, s’il n’était pas aussi impraticable qu’il l’est. » – « Quelle peut donc être, lui demandai-je, cette chose qui, convenant si fort, est impossible, et ne peut se faire ? » – « Qui vous dit, monsieur, reprit-il avec vivacité, qu’elle ne peut se faire ? Elle peut très bien se faire. Impossible est tout autre chose, et