amer poison,
je veux aussi me dessécher à ma cime et
mourir comme lui.
- Attends encore une heure ! Si je poussais mes
sables devant moi, peut-être arriverais-je à la
porte de Jérusalem avant que le Christ eût
monté le Calvaire. Dis aux cigognes de me
donner leurs ailes ; aux chevaux d’Arabie,
leurs pas rapides ; au lion, sa crinière ;
au serpent, ses anneaux, pour que je marche
plus vite que les tribus, que les porte-croix.
Ah ! Que je rampe lentement ! Ah ! Que ma selle
est brûlante sur mes flancs ! Pour passer un
fleuve, il me faut plus d’une année ; pour
fouler sous la corne de mon pied une ville
avec ses obélisques, il me faut un siècle.
Avant que ma gueule béante se dresse sur les
remparts pour boire dans la coupe de ce peuple,
n’aura-t-il pas dressé la croix ? Avant que
j’aie rongé les degrés du Calvaire, le Christ
n’aura-t-il pas bu son fiel et son hysope ? L’heure est passée ; après l’heure, le soir
aussi est passé, et moi j’arriverai trop tard.
Jéhovah n’a plus de fils ; moi, je n’ai
plus ni palmier, ni compagnon. Jéhovah est
seul au firmament ; moi, je suis seul sur ma
grève : nos deux déserts se joignent, et ils
s’attristent l’un l’autre. Tous deux nous
roulons dans notre immense ennui, sans y
trouver de rivage : nous ne rencontrons,
nous n’entendons que nous. Nos deux échos
se ressemblent. Demain, quand il passera,
comme un arabe qui cherche son butin, si je
lui demande : où est ton fils ? Il me
répondra : et toi, où est ton ombre ?
Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/136
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