Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/159

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leurs lits et leurs tables bien fournies, Ahasvérus vers un hôte en colère ; tous par un sentier d’une journée, Ahasvérus par un sentier de mille ans qui monte et ne redescend jamais.


Vraiment non, je ne suis plus le fils de Nathan. Les sphinx sont assis, les griffons sont endormis ; moi, je n’ai ni siège ni loisir. Derrière moi, les villes qui m’ont servi d’abri s’écroulent pour marquer le bord de mon chemin. Toujours mon tombeau se creuse sous ma route pour que mes pieds retentissent plus fort. Ma tente, si je la dresse, est une pyramide de granit ; ma hutte, si je la bâtis pour une nuit, est un temple de marbre fin ; mes joyaux de prix, que je laisse après moi partout où j’ai passé, sont des débris de tours et de sépulcres ciselés, des osselets de peuples et de royaumes oubliés.

Que l’Orient m’ennuie ! Je connais trop son sentier et comme le sable y est brûlant. Ses villes s’agenouillent sans qu’on entende leur haleine, sous leurs temples et sous l’encens, et sous leurs terrasses de porphyre, comme un chameau sous sa charge de nard et d’aromes, de calebasses et de tapis roulés qu’il a portés depuis Alep. L’océan, qui lui fait sa ceinture, est un lac trop petit pour y jeter mon ancre. Son désert n’a pas porté sa borne assez loin dans son sillon, pour y semer, l’un après l’autre, tous mes désirs ; et la voûte de son firmament, brodé d’étoiles peintes, n’est pas assez profonde pour abriter tous mes rêves.

L’Orient, à présent, est maudit comme moi. Sa plus haute cime est plus dépouillée par la bise et les larrons