le lierre leur refait leur manteau
chaque automne. Jour et nuit, depuis mille ans,
ils tiennent leurs sceptres levés sur les frimas
et sur les orages entassés qui s’agenouillent
à leurs pieds.
Ecoutez ! écoutez ! Sans mentir, je vais vous dire
mon secret pour ne pas crouler. Les nombres
me sont sacrés : sur leur harmonie je m’appuie
sans peur. Mes deux tours et ma nef font le
nombre trois et la trinité. Mes sept chapelles,
liées à mon côté, sont mes sept mystères qui me
serrent les flancs. Ah ! Que leur ombre est
noire et muette et profonde ! Mes douze
colonnes dans le chœur de pierre d’Afrique
sont mes douze apôtres, qui m’aident à porter
ma croix ; et moi, je suis un grand chiffre
lapidaire que l’éternité trace, de sa main
ridée, sur sa muraille, pour compter son âge.
Courage, mes saints, mes dragons, mes vierges
incrustées dans mes piliers ! Vous m’avez
répondu dans la poussière du caveau, dans la
niche de la nef, dans le creux de la cloche.
Vos voix grossissent, mes portes hurlent, mes
tours résonnent comme l’ouragan ; mes colonnes
et mes colonnettes vibrent comme la corde d’une
viole.
Les montagnes à pic n’ont point de voix pour dire
leurs secrets ; les rochers n’en ont point dans
leurs grottes, ni les forêts de sapin sur leurs
cimes qui grisonnent. Moi, je parle pour eux ;
de mon sommet, j’écoute nuit et jour leurs
génies égarés, leurs esprits muets, pour leur
prêter ma voix d’airain, et pour rouler dans
les nuages d’hiver leur âme paresseuse sur mes
paroles bondissantes et sur mes chants aux
roues de bronze.
Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/265
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