Quand les jeunes ouvriers avec leurs truelles
furent montés en chantant jusqu’au pied de ma
tour, ils dirent au maître : maître, aurons-nous
bientôt fini ? L’ouvrage est long, la vie est
courte. Le maître ne répondit rien. Quand les
jeunes ouvriers devenus hommes furent montés
avec leurs truelles jusqu’à la fenêtre de ma
tour, ils dirent au maître : maître, aurons-nous
bientôt fini ? Voyez ! Nos cheveux blanchissent,
nos mains sont trop vieilles ; nous allons
mourir demain. Le maître répondit : demain,
vos fils viendront, puis vos petits-fils,
après eux dans cent ans, avec des truelles
toutes neuves ; puis vos petits-neveux ; et
personne, ni maître ni ouvrier, ne verra jamais
la tour se clore sous le ciel, ni sa dernière
pierre. C’est le secret de Dieu.
Dans les plis de ma robe je traîne des peuples
éternels ; dans ma ceinture je noue autour de
mes reins, pour me faire plus belle, des siècles
ciselés. Pendant mille ans, j’ai cherché dans
la ville une place pour m’asseoir. Qui sait,
qui sait où est dans la ville le carrefour le
plus fréquenté à toute heure, pour que j’y
voie de mes fenêtres où vont avec leurs pieds
boueux les rois, les peuples, les années, les
empires, les générations de ribauds, de moines,
de fileurs et de peigneurs de lin qui passent
jour et nuit sur les dalles de mon pavé, sans
jamais revenir ; ainsi la louve se blottit
avec ses louveteaux pour regarder fondre la
neige dans son creux de rocher.
Savez-vous qui est mon maître ? Ah ! Savez-vous
comme il se nomme ? Il a rougi mes vitraux
du sang de sa tunique. C’est lui qui a attaché
par un lien de pierre ma nef