Une contrée déserte. Au loin, la mer vide, et une ruine, qui figure celle du monde. Ahasvérus, Rachel.
Rachel.
Oui, si tu le veux, Joseph, je le veux ; nous
resterons ici dans cette vallée sans nom ; ce
jasmin fera notre berceau. Pendant que les mondes
achèveront de mourir, toi et moi, ici, sans nous
quitter une heure, nous recommencerons à vivre,
comme nous faisions à Linange. Tout l’amour
de la terre sera renfermé entre ces deux rochers.
Avec toi, sans Dieu, sans Christ, sans soleil,
je te le jure, je n’ai besoin de rien. Les âmes
remonteront au ciel ; et nous, nous ne
dépasserons jamais cette bruyère fleurie. Je
ne verrai que toi ; tu ne verras que moi. Pas
une étoile ne me dira plus : c’est le soir,
quand je voudrais que ce fût encore le jour.
Ma main toute dans ta main, mes yeux dans tes
yeux, nous passerons ici, sous ce tilleul,
l’éternité.
Ahasvérus.
Nous pourrions être heureux ainsi, je le crois.
Mais ce bonheur est trop facile ; demain ou
après, nous le retrouverons, quand nous voudrons.
Allons encore plus loin ; jusqu’au bout du
monde ; c’est là, c’est là que je voudrais être.
Rachel.
Nous y sommes ; après cela vient le ciel.
Ahasvérus.