Page:Réflexions sur la révolution de France.pdf/46

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jourd’hui féliciter cette même nation sur sa liberté ? Est-ce parce que la liberté, dans son sens abstrait, doit être classée parmi les bienfaits du genre humain, que j’irais sérieusement complimenter un fou qui se serait échappé de la contrainte protectrice, et de l’obscurité salutaire de son cachot, sur le recouvrement de la lumière et de sa liberté ? Irais-je complimenter un voleur de grands chemins, ou un meurtrier qui aurait brisé ses fers, sur la récupération de ses droits naturels ? Ce serait renouveler la scène des criminels condamnés aux galères, et de leur héroïque libérateur, le rêveur chevalier de la Triste Figure.

Quand je vois agir d’après l’esprit de la liberté, je suis frappé de la force du principe que l’on met en action ; mais c’est pour l’instant tout ce que je puis connaître. C’est comme le premier moment d’une fermentation, dans le travail de laquelle les gaz se dégagent : il faut attendre, pour porter son jugement, que la première effervescence soit un peu apaisée, que la liqueur soit clarifiée, et que l’on voie quelque chose de plus distinct qu’une surface écumeuse et bouillonnante. Il faut donc aussi, avant que je me détermine à féliciter hautement les gens sur un bienfait quelconque, que je sois bien sûr qu’ils ont reçu ce bienfait. La flatterie corrompt à la fois celui qui la reçoit et celui qui la donne : le peuple et les Rois ont plus d’une fois éprouvé les dangers de l’adulation. C’est par ces raisons que je suspendrai mes félicitations sur la nouvelle liberté de la France, jusqu’à ce que j’aie été informé de la manière dont elle a été combinée avec