Page:Régnier - Œuvres complètes, éd. Viollet le Duc, 1853.djvu/81

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Et va, comme un banquier, en carrosse et en housse[1].
Mais c’est trop sermonné de vice et de vertu.
Il faut suivre un sentier qui soit moins rebatu ;
Et, conduit d’Apollon, recognoistre la trace
Du libre Juvenal : trop discret est Horace,
Pour un homme picqué ; joint que la passion,
Comme sans jugement, est sans discrétion.
Cependant il vaut mieux sucrer nostre moutarde[2] :
L’homme, pour un caprice, est sot qui se hazarde.
Ignorez donc l’autheur de ces vers incertains,
Et, comme enfans trouvez, qu’ils soient fils de putains,
Exposez en la ruë, à qui mesme la mère,
Pour ne se descouvrir, fait plus mauvaise chère[3].
Ce n’est pas que je croye, en ces temps effrontez,
Que mes vers soient sans père et ne soient adoptez ;
Et que ces rimasseurs, pour feindre une abondance,
N’approuvent impuissans une fausse semence :

  1. En housse, c’est-à-dire à cheval. Du temps de Regnier, les carrosses n’étoient pas si communs qu’ils le sont devenus dans la suite. On n’alloit par la ville qu’à cheval, ou monté
    sur des mules couvertes d’une grande housse qui descendoit presque jusqu’à terre. Cet usage s’est maintenu fort longtemps parmi les médecins de Paris, témoin ce vers de Boileau, satire viii, en 1667 :
    . . . . . . . . . Quand il voit . . . . . .
    Courir chez un malade un assassin en housse.
  2. Expression proverbiale bien énergique.

    Ce vers ferait soupçonner que c’est ici la première satire de Regnier, qui ne vouloit pas alors que l’on sût qu’il en étoit l’auteur.

  3. Chère, accueil, visage : du latin cara, pour facies, vultus.
     
    . . . . . Postquam venêre verendam
    Cæsaris ante caram.
    Corippus de Laudibus Justini, lib. ii.

    (Voyez Du Cange, Ménage, etc.)